• Cette quinzaine, pour la communauté de Pascale  "les croqueurs de mots"  c'est Fanfan qui est à la barre, et qui nous a proposé "l'hiver" pour ce jeudi

     

    Philippe Desportes

     

    Un ivoire vivant, une neige animée

     

    Un ivoire vivant, une neige animée,
    Fait que mon oeil ravi ne s'en peut retirer.
    Ô main victorieuse, apprise à bien tirer,
    Que tu m'as de beaux traits la poitrine entamée !

    Aux célestes beautés mon âme accoutumée
    Ne trouve objet que toi qui la puisse attirer,
    Et croit qu'elle te peut sans offense adorer,
    Tant elle est de ta glace à toute heure enflammée.

    Le jour dont si souvent j'aime à me souvenir,
    Jour qu'il te plut mes yeux et mon coeur retenir,
    Et de leur servitude embellir la victoire,

    Tu rompis tant de noeuds qui m'avaient su lier,
    Et me faisant dès lors toute chose oublier,
    Tu fus mon seul penser, mon âme et ma mémoire.

     

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    Tableau par E. R. Hughes


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  • Bonjour à vous,

    cette semaine, pour la communauté des croqueurs de mots de Pascale   c'est Eglantine qui est à la barre, et qui nous parle des nourritures de l'esprit comme du corps

     

     

    Le repas préparé

        (Albert Samain )

     

    Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ;
    Le maître va rentrer ; sur la table de chêne
    Avec la nappe neuve aux plis étincelants
    Mets la faïence claire et les verres brillants.
    Dans la coupe arrondie à l'anse en col de cygne
    Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne :
    Les pêches que recouvre un velours vierge encor,
    Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d'or.

    Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles,
    Et puis ferme la porte et chasse les abeilles...
    Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit.
    Rapprochons les volets, faisons presque la nuit,
    Afin qu'ainsi la salle, aux ténèbres plongée,
    S'embaume toute aux fruits dont la table est chargée.
    Maintenant, va puiser l'eau fraîche dans la cour ;
    Et veille que surtout la cruche, à ton retour,
    Garde longtemps glacée et lentement fondue,
    Une vapeur légère à ses flancs suspendue.

     

     

    melone_feigen_und_blumen.jpg

     

     

     

    (tableau de Brueghel )

     

    Mise en page de Hauteclaire


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  • Cette quinzaine, pour la communauté des "croqueurs de mots" de Pascale , Lilou  est montée à la barre, et nous emmène par les chemins de campagne  ...

    Je vous propose ce très joli poème écrit par T. Gautier, mis en musique par Berlioz

     

     

     

    Villanelle  par Théophile Gautier

     

    Quand viendra la saison nouvelle,
    Quand auront disparu les froids,
    Tous les deux nous irons, ma belle,
    Pour cueillir le muguet aux bois.
    Sous nos pieds égrenant les perles,
    Que l’on voit au matin trembler,
    Nous irons écouter les merles siffler.

    Le printemps est venu, ma belle,
    C’est le mois des amants béni;
    Et l’oiseau, satinant son aile,
    Dit des vers au rebord du nid.
    Oh! viens donc, sur ce banc de mousse
    Pour parler de nos beaux amours,
    Et dis-moi de ta voix si douce:
    "Toujours!"

    Loin, bien loin, égarant nos courses,
    Faisant fuir le lapin caché,
    Et le daim au miroir des sources
    Admirant son grand bois penché,
    Puis chez nous, tout heureux, tout aises,
    En panier enlaçant nos doigts,
    Revenons, rapportant des fraises
    Des bois.

     

     

    morgan5.jpg

     

    (tableau par E. Pickering de Morgan)

     

     

     

     

    Hier, sur mon autre blog, je vous parlais de José Van Dam, alors le voila dans cette pièce de musique (un clic sur le lecteur pour entendre.

     

    Hauteclaire


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  • Bonjour aux marins de la coquille des "croqueurs de mots"  la communauté de Pascale  et à tous qui montez à bord !

    Cette quinzaine Lénaïg est à la barre et nous a demandé de présenter un poème qui nous fasse voyager ...

     

     

    Très court, et pourtant tout un voyage dans ces vers ...

     

    Raymond Radiguet :

     

    Montagnes russes ou voyage de noces

     

    À ma place
    Le lecteur et sa gracieuse compagne
    Aux abeilles feraient la chasse

    Mon amour Le pot de miel est à moitié vide

    Un ciel à peine aussi tranquille
    Que le ciel de notre lit

    Jeune mariée Violette
    Qui souriez sous la voilette
    Sans retard réclamez la terre ferme

     

     

    tadema22.jpg

     

     

     

    (tableau Sir Alma Tadema)

     


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  • Cette quinzaine, Julien est à la barre des croqueurs de mots, la communauté de Pascale et nous a proposé le thème de "délurée" ou bien libre

     

    Plus fort que délurée ...

     

    Bacchante  

       Albert SAmain

     

    J’aime invinciblement. J’aime implacablement.
    Je sais qu’il est des coeurs de neige et de rosée ;
    Moi, l’amour sous son pied me tient nue et brisée ;
    Et je porte mes sens comme un mal infamant.

    Ma bouche est détendue, et mes hanches sont mûres ;
    Mes seins un peu tombants ont la lourdeur d’un fruit ;
    Comme l’impur miroir d’un restaurant de nuit,
    Mon corps est tout rayé d’ardentes meurtrissures.

    Telle et plus âpre ainsi, je dompte le troupeau.
    Les reins cambrés, je vais plus que jamais puissante ;
    Car je n’ai qu’à pencher ma nuque pour qu’on sente
    L’odeur de tout l’amour incrusté dans ma peau.

    Mon coeur aride est plein de cendre et de pierrailles ;
    Quand je rencontre un homme où ma chair sent un roi,
    Je frissonne, et son seul regard posé sur moi
    Ainsi qu’un grand éclair descend dans mes entrailles.

    Prince ou rustre, qu’importe, il sera dans mes bras.
    Simplement - car je hais les grâces puériles -
    Je collerai ma bouche à ses dents, et, fébriles,
    Mes mains l’entraîneront vers mon lit large et bas.

    La flamme, ouragan d’or, passe, et, toute, je brûle.
    Après, mon coeur n’est plus qu’un lambeau calciné ;
    Et du plus fol amour et du plus effréné
    Je m’éveille en stupeur comme une somnambule.

    Tout est fini ; sanglots, menaces, désespoirs,
    Rien n’émeut mes grands yeux cernés de larges bistres
    Oh ! Qui dira jamais quels cadavres sinistres
    Gisent sans sépulture au fond de mes yeux noirs ! ...

    Vraiment, je suis l’amante, et n’ai point d’autre rôle.
    Dans mon coeur tout est mort, quand le temps est passé.
    Ma passion d’hier ? ... c’est comme un fruit pressé
    Dont on jette la peau par-dessus son épaule.

    Mon désir dans les coeurs entre comme un couteau ;
    Et parmi mes amants je ne connais personne
    Qui, sur ma couche en feu, devant moi ne frissonne
    Comme devant la porte ouverte du tombeau.

    Je veux les longs transports où la chair épuisée
    S’abîme, et ressuscite, et meurt éperdument.
    C’est de tant de baisers, aigus jusqu’au tourment,
    Que je suis à jamais pâle et martyrisée.

    Je sais trop combien vaine est la rébellion.
    Raison, pudeur, qui donc entrerait en balance ?
    Quand mes sens ont parlé, tout en moi fait silence,
    Comme au désert la nuit quand gronde le lion.

    Oh ! Ce rêve tragique en moi toujours vivace,
    Que l’amour et la mort, vieux couple fraternel,
    Sur mon corps disputé, quelque soir solennel,
    Comme deux carnassiers, s’abordent face à face ! ...

    Qu’importe j’irai ferme au destin qui m’attend.
    Sous les lustres en feu, dans la salle écarlate,
    Que mon parfum s’allume, et que mon rire éclate,
    Et que mes yeux tout nus s’offrent ! ... Des soirs, pourtant

    Je tords mes pauvres bras sur ma couche de braise.
    Triste et repue enfin, j’écoute avec stupeur
    L’heure tomber au vide effrayant de mon coeur ;
    Et mon harnais de bête amoureuse me pèse.

    Mes sens dorment d’un air de félins au repos...
    Mais leur calme sournois couve déjà l’émeute.
    Déjà, déjà, j’entends les abois de la meute,
    Et je bondis avec mes cheveux sur mon dos !

    Oh ! Fuir sans arrêter pour boire aux sources fraîches,
    Pour regarder le ciel comme un petit enfant...
    Le ciel ! ... l’archer est là souriant, triomphant ;
    Et, folle, sous la pluie innombrable des flèches,

    Je tombe, en blasphémant la justice des dieux !
    Aveugle et sourde, hélas ! Trône la destinée.
    Et mon âme au plaisir féroce condamnée
    Pleure, et pour ne point voir met ses mains sur ses yeux.

    Mais écoutez... voici la flûte et les cymbales !
    Les torches dans la nuit jettent des feux sanglants ;
    Ce soir, les vents du sud ont embrasé mes flancs,
    Et, dans l’ombre, j’entends galoper les cavales...

    Malheur à celui-là qui passe en ce moment !
    Demi-nue, et penchée hors de ma porte noire,
    Je l’appelle comme un mourant demande à boire...
    Il vient ! Malheur à lui ! Malheur à mon amant !

    J’aime invinciblement ! J’aime implacablement !

     

    godward43.jpg


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